Quatre jeunes sont recemment vendus contre 1850 dollars

 

By Vincent Kende Niebede

 

Le trafic d’êtres humain prend de l’ampleur au Tchad. Quatre jeunes sont vendus contre 10 grammes d’or. Il s’agit de Ateib Mahamat, Ramadan Hari, Mahamat Zène Abakar et Ousman Seid. Ces jeunes dont l’âge varie entre 25 à 30 ans, ont d’abord été trompés par un homme qui leur a promis un travail qui serait très bien rémunéré. Mais à leur surprise, ils se retrouvent vendus contre de l’or à la frontière tchado-libyenne, au nord du Tchad.

L’histoire commence avec ces jeunes désœuvrés à la recherche de l’emploi. Nous sommes en janvier 2020 à Bitkine dans la province du Guéra, située à environ 400 kilomètres au nord-Est de N’Djaména. Selon un cadre du ministère de l’intérieur qui requiert l’anonymat, « ces jeunes ont été recrutés début 2020 par un certain Abdel Mawla  pour un travail d’exploitation d’or sur plusieurs sites aurifères, situés à Kouri Bougoudi au Nord du Tchad. Il s’agit d’une promesse de 5000 FCF soit 9,28 dollars de travail effectué par jour. Ce qu’aucun jeune au Tchad ne peut avoir ou peut parfois avoir difficilement dans la semaine », précise ce cadre du département de la sécurité.

Marché conclu par téléphone, le présumé trafiquant le nommé Abdel Mawla , a décidé de les emmener lui-même. Arrivé à Abéché dans le chef-lieu de la province du Ouaddaï, la plus grande ville du Nord du pays, la situation se complique. Abdel Mawla , leur recruteur, les confie à un autre surnommé Oual Borno qui, à son tour, les confie à un autre présumé trafiquant nommé Yaya Touer. C’est à ce dernier que revient la charge de conduire les quatre jeunes à la frontière tchado-libyenne, où ils sont échangés contre 10 grammes d’or par personne. Les 10 grammes d’or, équivaut à 250.000FCFA soit environ 464 dollars par personne, pour une somme totale d’un million (1.000.000 de FCFA) soit 1850 dollars.

 

Carcass of a cow | Youth susceptible to traffickers due to harsh conditions at home | Photo by Jean Damascène Hakuzimana

Des jours passent, les parents ont constaté l’absence des jeunes. Ils ont cherché désespérément des nouvelles de ces derniers dans les brigades et commissariats mais en vain. Des alertes, des recherches sont immédiatement lancées. Là, commencent des investigations tant du côté des parents que du côté des services de sécurité pour retrouver les jeunes portés disparus. Un témoigne de l’enlèvement a déclaré à la police et aux parents avoir vu ces jeunes il y a quelques jours accompagnés par le présumé trafiquant à bord d’un véhicule en direction d’Abéché. La police et les services de renseignement entrent en action, Abel est immédiatement appréhendé.

Interrogé puis confronté aux preuves qui l’accablent, Abdel Mawla  passe un coup de fil à l’un des membres de son réseau, il s’agit de Oual Borno, son présumé complice à Abéché qui lui répond au bout du fil. Ce dernier a saisi à son tour un autre, un certain Yaya Touer à la frontière tchado-libyenne afin qu’il ramène les jeunes qui lui ont été donnés contre les grammes d’or. Sous la peur des actions des autorités qui pourraient conduire à son arrestation, Yaya décide de les ramener. Mais après plusieurs heures de route pour retourner à Abéché, Yaya Touer s’est arrêté à Gouro dans la province de l’Ennedi Ouest. Il dégêne son téléphone et rappelle à Abéché et pose ses conditions. Il exige une somme d’1 million 6 cent mille (1.600.000 FCFA) en guise de dédommagement de ses dépenses (transports des jeunes et la valeur de ses 40 grammes d’or) avant de les libérer. Les autorités de la province ont mis la machine sécuritaire en marche. La somme n’est pas versée. L’homme est arrêté. Une autorité locale, confie que ces jeunes sont récupérés, mais jusque-là, ils ne sont pas encore présentés publiquement.

High unemployment and precarious conditions make youth susceptible to trafficking | Photo Jean Damascène Hakuzimana| Tantaverom Village, Chad

Dans nos recherches, certains témoignes ont confié à Amjambo Africa que le trafic d’êtres humains en direction des sites aurifères au nord du Tchad, rapporterait des dizaines de millions de FCFA. D’autres ont indiqué que les personnes impliquées dans ce vaste réseau, se comptent par plusieurs dizaines de personnes. Ils ont souligné que les commanditaires de ce trafic d’êtres humains, résidant à N’Djaména dans la capitale Tchadiennes, même s’ils ne révèlent aucun nom.

L’exemple de ces quatre jeunes, n’est qu’une partie visible de l’iceberg. Beaucoup des jeunes qui ont connu cette situation, ne sont toujours pas retournés dans leurs familles. Et se retrouvent vendus aux trafiquants d’êtres humains en Libye. Certains de ces jeunes sur place, qui s’y opposent sont tués par leur bourreaux. D’autres qui ne peuvent supporter les conditions de travail et qui ont tenté de fuir ont vu leurs tendons coupés au couteau, ont rapporté quelques rescapés à Radio FM Liberté, la seule Radio de droits de l’homme installée à N’Djaména dans la capitale tchadienne.

L’exemple le plus récent s’est passé, le 24 décembre 2020, où dix jeunes dont un mineur de 12 ans, embarqués du Sud du pays pour le Nord, étaient interceptés par les forces de l’ordre à la sortie Nord de Ndjaména. Ils ont été conduits à la légion numéro 10 de la gendarmerie, où ils sont réembarqués pour continuer le voyage vers Abéché. Djida Oumar, le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), a saisi à son tour le procureur de la république et le ministre de la justice, c’est ainsi que ces jeunes sont ramenés à Ndjaména. Des opérations sont en cours pour retrouver les auteurs et les complices du trafic d’êtres humains afin qu’ils soient arrêtés et jugés conformément aux lois du Tchad.

L’exploitation de l’or n’est pas la seule raison !

En dehors des jeunes enlevés du sud puis vendus vers le nord du pays, il y a ceux qui viennent volontairement des pays voisins et des régions sahéliennes de l’ouest du Tchad notamment du Kanem et du Bahr El Gazel. D’après un expert, ces jeunes partent vers le nord du Tchad, la Libye ou tentent de traverser la mer pour l’Europe pour des raisons économiques et politiques. Dans un rapport rendu public en 2016, le centre d’analyse International Crisis Group, a déclaré que les crispations politiques et le sentiment d’injustice envers N’Djamena se sont accrus dans le Kanem et la région du Bahr El Gazel surtout depuis l’élection présidentielle de 2016.

Crisis Group rapporte que des actes de violence ont été commis sur des ressortissants de ces régions par des proches du pouvoir de Ndjaména, suscitant en eux, un profond sentiment d’humiliation au sein des populations locales. A cela, s’ajoute l’absence d’une politique réelle d’auto emploi orientée vers ces jeunes. Selon ce rapport, les autorités tchadiennes voient dans la migration depuis l’ouest un mouvement massif d’adhésion aux groupes armés qui sont hostiles au régime en place au Tchad. Pour les experts, la situation a poussé les jeunes à tenter une aventure même périlleuse. De l’avis du docteur Dobingar Allassembaye, géographe, le gouvernement Tchadien doit mettre l’accent sur le développement local assoir une réelle politique d’emploi pour combattre le phénomène.