Par Joseph Sibomana

S’il est des phénomènes qui auront profondément marqué l’histoire récente de l’humanité et menacent de transformer pour longtemps encore peut-être la vie des hommes et des sociétés, le COVID-19 en est bien un. Il n’est certes ni le premier ni l’unique fléau qui frappe la terre toute entière, mais il étonne et bat tous les records jusque-là enregistrés, si l’on considère le nombre de ses victimes, la vélocité avec laquelle il s’est répandu sur les cinq continents mais également la manière dont il a impacté la vie des gens.

 L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) était formellement informée de l’existence des cas de pneumonie dans la ville de Wuhan le 31 Décembre 2019. Wuhan est une ville de onze millions d’âmes, véritable pôle culturel et économique de la Chine centrale. Depuis lors, ce mal ne cesse de répandre partout la terreur, en semant mort et désolation aux quatre coins du globe. Au fur et à mesure que continue de se propager cette pandémie à travers le monde, il apparaît de plus en plus clair que l’irruption de ce fléau a des implications au-delà de la seule santé physique des humains.

Des mesures telles que le confinement, la distanciation sociale, le port obligatoire des masques en public, le lavage régulier des mains… restent toujours en vigueur, pour contrer et contenir la propagation de cette pandémie. Le premier vaccin fut approuvé dans le Royaume Uni et il fut injecté à Margaret Keenan le 8 décembre 2020. La découverte du vaccin remonterait la morale des personnes sauf que beaucoup d’endroits du globe se préparent à faire face pour longtemps encore aux défis du COVID-19.

Pour certaines communautés, particulièrement habitant les zones en guerre ou les camps de réfugiés, où des conditions d’hygiène sont déjà très difficiles du fait de la promiscuité, toutes ces mesures pour contrer la propagation de cette pandémie paraissent carrément impossibles à respecter. Le Coronavirus COVID-19 est en train d’impacter tous les secteurs de la vie à travers le monde. Mais cet impact n’est pas partout le même : ce virus semble faire une distinction entre sociétés riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes mais en réalité, cela tient aux conditions d’inégalités préexistantes, d’après la Note d’Orientation d’ONU-FEMMES du mois d’avril 2020. Ces vulnérabilités brossent un tableau complexe d’interconnexions ayant une influence réelle sur différents groupes qui dépendent des facteurs tels que le sexe, le genre, la race, l’âge, la validité, le revenu, pour ne citer que ceux-ci.

Pourquoi les femmes et les jeunes filles?
Notre reportage est allé explorer la situation dans le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Plus que les hommes et les garçons, la portée de cette pandémie affecte les filles et les jeunes femmes dans tous les secteurs de leur vie quotidienne : leur sûreté, leur bien-être, leur éducation, leur sécurité financière, leur santé, leur nutrition ainsi que leur accès à la technologie. Toutes les inégalités préexistantes sont rendues encore pires que jamais par le Coronavirus COVID-19. Pour les jeunes filles en particulier, la fermeture de leurs écoles les a exposées à une pléthore de conséquences néfastes, assombrissant du coup leur horizon. Evidemment ceci pèse et pèsera encore sur leur avenir.

Le Kenya

Avec la propagation du COVID-19 au Kenya, les femmes et les filles ont fait face et continuent de se confronter à de multiples défis parmi lesquels : des grossesses précoces, les maladies sexuellement transmissibles, le VIH SIDA, l’isolement ainsi que la vulnérabilité économique, la perte de leur emploi, la violence domestique, les violences basées sur le genre, les restrictions de leur mouvement, la recrudescence des mutilations génitales féminines, le viol, les mariages forcés, la fermeture des écoles etc. S’agissant de la perte d’emploi, nous nous sommes entretenus avec Wikistar Nyakundi qui nous a dit comment elle a dû déménager d’un grand salon de coiffure pour se rabattre sur un petit salon parce qu’ elle ne pouvait plus payer le loyer mensuel.

Il faut admettre que la situation n’était guère reluisante avant le COVID-19. Et pour cause. Déjà en 2014, le Kenya Demographic Health Survey nous renseigne que 32% de filles kenyanes âgées entre 15 et 19 ans ont déjà fait l’expérience de la violence dès l’âge de 15 ans tandis que 32% de jeunes femmes ont expérimenté la violence sexuelle avant leur 18ème printemps. Une enquête réalisée par Kenya Violence Against Children (VAC) estime, quant à elle, que 22% de filles âgées de 15 à 19 ans ont décrit leur premier rapport sexuel comme étant forcé. Cette enquête cite les oncles, tantes, pères, frères et mères comme étant parmi les auteurs de ces actes de violence, du fait de vivre dans la même propriété que les victimes.

Pour autant, il faut affirmer sans ambages que le COVID-19 est venu aggraver une situation déjà délicate. Très tôt, en mars 2020 le Président de la Cour Suprême du Kenya, l’Honorable David Maraga a indiqué l’augmentation de 35,8% du nombre des cas de violence sexuelle déférés devant les cours et tribunaux.

Michael Gaitho- Spécialiste en violence basée sur le genre à LVCT Heath- nous décrit la situation : “Avant, les hommes passaient le clair de leur temps en dehors des foyers, au travail et dans des bars . Au plus fort du confinement ils étaient obligés de rester à la maison, alors ils battaient leurs femmes ou les violaient constamment. On dirait que leur seule distraction était le corps de leurs femmes. Et si la femme refusait de céder, elle était menacée avec la machette.»
Fridah Wawira, en charge du Programme Coalition on Violence Against Women, s’inquiète sur les mutilations génitales accélerées lors du COVID-19: ‘L’excision est en train d’être pratiquée actuellement. Il n’y a pas d’activités publiques, pas d’écoles, alors les familles en profitent pour exciser les filles en secret.”

 

Selon une enquête menée par le Kenya Health Information System, 3 964 filles de moins de 19 ans attendaient un enfant rien que dans le comté de Machakos.
De nouvelles données du Comité International de Secours révèlent également que les filles vivant dans les camps de réfugiés ont été particulièrement touchées.
Alors que seuls huit cas de grossesse chez les adolescentes ont été signalés en juin 2019 dans le camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord-ouest du pays, 62 grossesses ont été enregistrées en juin 2020. Dans le camp de réfugiés de Dadaab, le nombre de grossesses d’adolescentes signalées a augmenté de 28 % entre avril et juin, par rapport à la même période l’année dernière. Selon Fanis Lisiagali, le Directeur du Helpline, leur service a reçu 1.108 appels liés aux violences basées sur le genre rien que pour le mois de Juin 2020, comparés aux 86 cas seulement reçus quatre mois auparavant, soit en février 2020 ! “Bien sûr ces cas sont peu nombreux par rapport à la réalité car beaucoup reste caché

L’Ouganda
Comme pour le Kenya, en Ouganda le COVID-19 a été de loin plus sévère pour les femmes et les filles que pour les hommes, comme l’affirme Salongo Peruth, contactée par téléphone depuis Nabulagala, banlieue de Kampala. « Une femme qui ne peut plus vendre ses friperies ni aller tresser les cheveux de ses voisines, comment survivra-t-elle ?

Mugole, une vendeuse de 22 ans dit ceci : “ J’avais pensé que cette maladie finirait dans deux semaines…, je ne crois plus pouvoir continuer à tenir mon business après cette pandémie. Qui va continuer d’acheter des téléphones et des écouteurs pour téléphones sans avoir mangé ?

D’après Linda, une habitante de Nsambya, l’accès aux antirétroviraux est particulièrement difficile pour les femmes séropositives : “Là où des hommes conduisent motocyclettes et bicyclettes pour atteindre l’hôpital pour se procurer ces antirétroviraux, les femmes ne conduisant guère ces engins et ne pouvant marcher de longues distances, vous comprenez ce qui adviendra de ces femmes séropositives!

Le Rwanda
Au Rwanda, les femmes et les filles constituent 51,8% de la population, selon une étude de l’Institut National des Statistiques du Rwanda réalisée en 2012, et dans certains cas, elles sont majoritaires dans les secteurs de travailleurs à haut risque et pour qui le futur de l’emploi semble sombre. La présente crise menace de freiner ou de ralentir les progrès réalisés par le Rwanda en matière d’égalité des genres et ainsi d’exacerber la “féminisation” de la pauvreté, exposant ainsi les femmes et les filles à plus de violence et anéantissant leur égale participation au monde du travail.
Selon une étude des Nations Unies datant de Juin 2020, “The Socio Economic impact of Covid-19 in Rwanda”, des ménages dirigés par des femmes présentent le grand risque d’être plus impactés que les autres ménages rwandais à cause des effets néfastes du COVID-19 ; en fait, ils pourraient tomber dans des niveaux très bas de pauvreté et même faire l’expérience d’une pauvreté extrême.

Avant le confinement, la plupart des travailleurs étaient payés au taux du jour depuis trois ans et dans cette catégorie les femmes étaient surreprésentées. Cette donnée minimise l’ampleur des problèmes affectant les femmes dans le secteur informel qui risquent bel et bien de voir cesser leur emploi et ainsi de perdre leur gagne-pain quotidien.

La République Démocratique du Congo
Alors qu’au début de cette pandémie la dangerosité du COVID-19 inquiétait et alarmait le monde entier, la plupart des Congolaises et Congolais qui ne se départissent que très rarement de leur humour légendaire étaient restés indifférents, voire insouciants face à cette situation. De là des humours du genre : ’heureuse nouvelle pour les célibataires : le mariage à moindre coût, peu d’invités ‘ ; ‘finie l’infidélité, confinement oblige’ ; des photographies montrant des Congolais en train de tresser les cheveux de leurs épouses’, etc.
La RDC, deuxième pays le plus vaste d’Afrique avec ses 2.345.410 km2, avec une situation humanitaire complexe depuis longtemps, continue de faire face aux autres épidémies majeures comme Ebola, la poliomyélite, le choléra, la rougeole, la peste bubonique, etc. Comme partout ailleurs dans la région, les femmes et les filles ont été plus impactées par le COVID-19. Lors d’un panel organisé à Kinshasa le 20 août 2020 par le Fonds des Femmes Congolaises (FCC), il a été signalé en plusieurs endroits du pays la recrudescence des violences sexuelles ainsi que des activités des groupes armés, notoirement connus pour utiliser le viol des femmes comme arme de guerre.

Les auteurs Caroline Lesser et Evdokia Moisé-Leeman citent que, en Afrique, en général, et au Congo en particulier, point n’est besoin de souligner l’importance du secteur informel qui représenterait jusqu’ à 43% du produit intérieur brut (PIB) officiel, soit presque l’équivalent du secteur formel.

Le confinement a eu des effets sur le petit commerce transfrontalier entre Goma en RD Congo et Rubavu au Rwanda. Ce commerce est une stratégie de survie et d’emploi pour au moins 45000 commerçants, dont la plupart sont des femmes, et leurs dépendants, dans une région où d’autres options économiques sont limitées. Une étude sur le commerce et les opportunités pour un dialogue transfrontalier dans la région des Grands Lacs réalisée par le Docteur Blaise Muhire conclut que ce commerce transfrontalier est un levier important pour la croissance ainsi que le rapprochement entre les populations rwandaises et congolaises voisines mais souvent divisées et méfiantes à cause des conflits violents qui les ont touchées et continuent d’affecter cette région.

Or, force est de constater que le mouvement transfrontalier des commerçants de Goma et de Gisenyi au Nord du Lac Kivu et de Bukavu et Kamembe au Sud avait d’abord été totalement interdit durant de longs mois, avant d’être permis très partiellement pour les seuls membres de coopératives, comme le souligne le Docteur Blaise Muhire cité plus haut. Qui pourra en évaluer véritablement le manque à gagner ?